Pour son dernier voyage vers le ciel et l’éternité, le Pape des périphéries a ramené le monde dans l’épicentre du catholicisme romain. La place Saint-Pierre, si proche du lieu du martyre du prince des apôtres, s’est fait le miroir d’un dense pontificat, interpellant les puissants et consolant les faibles. Offrant une célébration dépouillée et grandiose devant des responsables religieux des trois monothéismes, des principales confessions chrétiennes et pléthore de dirigeants politiques.
Delphine Allaire – Cité du Vatican
La charge historique, spirituelle et symbolique cristallisée de l’événement, le premier enterrement d’un Pape régnant depuis 20 ans, a contrasté avec la simplicité du rite liturgique. Le vertige temporel a été adouci par la sérénité spirituelle émanant de cette messe de requiem, en latin, sous un ciel radieux au milieu de l’Année sainte, la veille du dimanche de la Divine miséricorde. Présidée par le primus inter pares des cardinaux, concélébrée par 220 d’entre eux, 750 évêques et 4 000 prêtres devant 250 000 fidèles, la lettre de cette messe d’obsèques, réglée et codifiée bien que simplifiée, fut somptueuse, l’esprit, simple et léger.
Entre ciel et terre
Cette liturgie entre ciel et terre où l’Esprit Saint a soufflé sur les âmes, enveloppant nettement celle du Pape défunt qui l’invoquait publiquement si souvent, s’est déployée dans une atmosphère printanière.
Premier acte, le cercueil de bois de cyprès et de zinc porté par 14 sediari pontificaux entouré des 220 cardinaux concélébrant en habit liturgique rouge avance lentement à l’intérieur de la basilique Saint-Pierre. Sous les applaudissements résonnant jusqu’au château Saint-Ange, les notes du requiem éternel s’envolent dans le ciel. Le cercueil du Pape défunt est déposé au sol sur le parvis fleuri, devant l’autel, près du cierge pascal or et bleu roi. Ce même endroit où il était assis chaque mercredi lorsque le temps était clément pour les audiences générales. Le cercueil est recouvert de l’évangéliaire. S’élance la procession des cardinaux et patriarches, qui ont entre leurs mains la responsabilité de la continuité du gouvernement de l’Église pendant la vacance du Siège apostolique. Ces hommes de 45 à 91 ans, âge du doyen présidant la célébration, en pourpre teinté d’or, confèrent à la place toute sa solennité ecclésiale.

Le berger et le pasteur
Le chœur pontifical de la chapelle Sixtine a accompagné les fidèles émus pendant les deux heures de l’office funèbre. La première lecture lue en anglais a été tirée des Actes des apôtres comme l’y oblige le temps pascal. Avant que ne soit entonné le psaume 22 d’une indéniable sérénité. «Le Seigneur est mon berger: je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre». La deuxième lecture en espagnol est issue d’un bref extrait de la lettre de saint Paul aux Philippiens sur «la citoyenneté des cieux». Une page de l’Évangile de Jean a ensuite été proclamée en latin, filant toujours la métaphore pastorale: lorsque Jésus dit à Simon-Pierre: «Sois le berger de mes agneaux», «Sois le pasteur de mes brebis», «Suis-moi». Sous une légère brise, le cardinal Giovanni Battista Re a prononcé une homélie d’hommage, évoquant l’image si récente du Pape il y a sept jours, lorsque dimanche de Pâques, François était apparu au balcon, et en était descendu pour saluer la foule.
Un style et un programme
Jusqu’au dernier jour de sa vie terrestre, François avait emprunté la voie du don. Sur la majestueuse place Saint-Pierre, le cardinal Re a ainsi commencé son homélie de vingt minutes citant les écrits de saint Luc. «Il l’a fait avec force et sérénité, proche de son troupeau, l’Église de Dieu, en se souvenant de la phrase de Jésus citée par l’apôtre Paul: ‘’Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir’’» (Ac 20, 35). Pour honorer «l’intense pontificat» du Pape argentin, le doyen du Sacré Collège est reparti de la décision du nom de François, «choix d’un programme et d’un style» fondateurs, inspiré du Poverello d’Assise. Depuis le 13 mars 2013, date de son élection par le conclave, le Pape François a immédiatement «imprimé sa forte personnalité dans la gouvernance de l’Église, en établissant un contact direct avec les individus et les populations, désireux d’être proche de tous», a rappelé le cardinal doyen, visiblement en forme à 91 ans.
Un cœur ouvert à tous et à la nouveauté
L’attention particulière pour les personnes en difficulté, les exclus, fait qu’il a été «un Pape parmi les gens, avec un cœur ouvert à tous», a-t-il poursuivi. Ce «tous» qui résonna tant de fois dans son pontificat. François était aussi «un Pape attentif à ce qui émergeait de nouveau dans la société et à ce que l’Esprit Saint suscitait dans l’Église», ces fameuses surprises de l’Esprit auxquelles la période incombe plus que jamais de s’en remettre. Poursuivant sur le style du Pape, qui s’évertua à contribuer à façonner une Église de proximité, compassion et de tendresse, le doyen des cardinaux a mentionné son langage riche d’images et de métaphores pour «vivre en chrétiens» les défis et les contradictions de l’époque. Ainsi de «l’Église hôpital de campagne» après une bataille qui a fait de nombreux blessés ou «de maison aux portes toujours ouvertes».
Il a conduit la barque de l’Église dans l’océan de la mondialisation
Doté «d’une grande spontanéité et une manière informelle de s’adresser à chacun, même aux personnes éloignées de l’Église», le Pape François a «véritablement» partagé «les angoisses, les souffrances et les espoirs de notre époque», se dépensant sans compter pour toucher le cœur des gens. «Un charisme de l’accueil et de l’écoute» pour donner place au guide de son pontificat: «le primat de l’évangélisation», diffusant «une empreinte missionnaire évidente», la joie de l’Évangile. Le cardinal Re de citer les voyages symboliques de Lampedusa, Lesbos, ainsi que la célébration d’une messe à la frontière avec le Mexique et les Etats-Unis, signes de ses innombrables gestes envers les personnes déplacées, sous des applaudissements appuyés de l’assemblée.
Celui effectué en Irak en 2021 au péril de sa vie, «baume sur les plaies ouvertes du peuple irakien» et important pour le dialogue interreligieux, ou encore le plus long, dans quatre pays d’Asie-Océanie en septembre, où François atteignait «la périphérie la plus périphérique du monde».
Un service de foi et un service de l’homme
Le cardinal Giovanni Battista Re identifie deux mots-clés du Pape François: miséricorde et joie de l’Évangile. La miséricorde, dont il a fait une année jubilaire extraordinaire en 2016 est en cela, selon lui, «le cœur de l’Évangile». D’elle découle tout son magistère social. La fraternité en opposition «à la culture du déchet»; les devoirs et la coresponsabilité envers notre maison commune; les appels à la paix et «d’honnêtes négociations» face à la fureur des guerres, qu’il considérait toujours comme «une défaite douloureuse et tragique». Applaudissements marqués et appuyés résonnant dans toute la place et toute l’avenue ainsi qu’aux oreilles «des puissants» concentrés à la gauche de l’autel.
«François, n’oublie pas de prier pour nous»
En ultime hommage, le doyen du Collège a repris l’habituelle invitation de François en fin de discours, «N’oubliez pas de prier pour moi», formulant une requête au Pontife défunt: «Cher Pape François, nous te demandons maintenant de prier pour nous et que, du ciel, tu bénisses l’Église, bénisses Rome, bénisses le monde entier, comme tu l’as fait dimanche dernier depuis le balcon de cette basilique, dans une dernière étreinte avec tout le peuple de Dieu, mais aussi, idéalement, avec l’humanité qui cherche la vérité avec un cœur sincère et qui tient haut le flambeau de l’espérance.»

Universalité de la prière
Dans l’écho de la place, ces paroles suivies d’un long et digne silence ont sonné comme une deuxième bénédiction à la Ville et au monde ce samedi dans l’octave de Pâques. Le recueillement intérieur du patriarche Bartholomée parait saisissant au premier rang à droite de l’autel, ce frère grec-orthodoxe avec lequel François rêvait de commémorer Nicée le mois prochain de cette Année sainte. La prière universelle a été proclamée en six intentions: pour le défunt Pape en français, pour l’Église en arabe, pour les nations en portugais, pour les âmes de tous les Papes défunts et tous les prêtres en polonais, pour tous les fidèles défunts en allemand, et pour toute l’assemblée en chinois. Là où sur cette même place François avait introduit en décembre dernier la langue chinoise en lecture des audiences générales. Un puissant chant grégorien en latin s’est élevé du chœur à l’offertoire: «Illuminez mes yeux, que jamais je ne m’endorme dans la mort».
La paix entre chefs d’États
Sous très certainement le sourire complice de François, le don de la paix du Christ a offert des scènes éloquentes dans le parterre des chefs d’Etats assis en ordre alphabétique selon leur pays en langue française, avec une exception faite aux présidents américains et ukrainiens au premier rang. Certains espèrent l’intercession du Pape argentin afin qu’ils parvenir à s’entendre dans la Ville éternelle pour mettre fin au conflit aux portes de l’Europe. C’est après le grand ballet de la communion, permis grâce aux diacres et prêtres notamment des Collèges romains présents, qu’a eu lieu le rite final de l’ultima commendatio et de la valedictio, ouvert et conclu par le cardinal Re devant le cercueil.
Les suppliques romaine et byzantine
Guidée par le cardinal vicaire Reina, la «supplique de l’Église de Rome», longue et céleste litanie des saints -avec plus d’une centaine d’invocations- a conféré à la place Saint-Pierre une dimension chorale et symphonique sous les nuages blancs épars subitement apparus sur fond bleu des cieux. Les couleurs mariales. Et c’est bien sûr avec l’invocation à la Salus populi Romani si chère à François qu’elle a commencé. Signe d’unité évident envers l’Orient chrétien, en cette octave pascale où calendriers julien et grégorien sont alignés, la supplique des Églises orientales a succédé à la romaine. Selon la liturgie byzantine, en grec, avec des représentants des Églises catholiques orientales aux vêtements étincelants sous le soleil perçant, elle fut guidée par le patriarche d’Antioche des grecs-melkites Youssef Absi. Des accents antiques grandioses et graves.
Au paradis
Le silence retombé, le cercueil a été aspergé d’eau bénite et encensé par le doyen des cardinaux en rappel du baptême. La traditionnelle antienne grégorienne In Paradisum, au paradis, voyage de la terre vers le ciel conduits par les anges, a divinement couronné la célébration, suivie du Magnificat. Les cardinaux repartis en procession à l’intérieur de Saint-Pierre, précédant le cercueil gravé à la devise du Souverain pontife défunt Miserando atque eligendo, «Choisi parce que pardonné». Sous de longs applaudissements, il a été incliné à la foule du peuple de Dieu de longues minutes, porté par des sediari de la chaire pontificale émus aux larmes. De retour à l’intérieur de la basilique vaticane, le 265e successeur de Pierre est passé une dernière fois auprès de la dépouille du premier apôtre avant de rejoindre son ultime demeure romaine, auprès de la Vierge.